Notre regard sur le projet de loi !

L'association des jeunes agents publics

Notre regard sur le projet de loi !

22 mai 2019 Actu Fonction Publique 0

Giulia Reboa : “Nous prônons une plus grande marge de manœuvre pour les encadrants de proximité”

14 MAI 2019, PAR SYLVAIN HENRY

 

La présidente de l’association des jeunes agents publics FP21 réagit au texte de loi modernisant la fonction publique, débattu depuis le 13 mai à l’Assemblée nationale. Au-delà des textes, souligne-t-elle, faire bouger la fonction publique suppose des marges de manœuvre pour les acteurs de terrain, dans un secteur où la légitimité “revient toujours au plus diplômé et au plus gradé”.

 

Quel regard portez-vous sur l’actualité de la fonction publique : Action publique 2022, le grand débat national, et maintenant le projet de loi sur la transformation de la fonction publique ?Nous portons un regard d’abord curieux sur cette actualité. Action publique 2022 et le grand débat ont montré une volonté de donner la parole aux citoyens et aux agents publics. On connaît les limites qu’ont rencontrées ces démarches. Et le projet de loi l’illustre bien, nous avons encore trop de mal à dépasser la succession de réformes “macro” et subies par les agents. C’est intriguant : trop souvent, quand on demande aux agents ce qu’ils pensent du changement dans la fonction publique, on arrive tout de suite sur des sujets très généraux, lointains et supertechniques, comme la réforme territoriale, le management, les hauts fonctionnaires… Pourtant, il y a dans chaque service des enjeux colossaux qui peuvent être relevés à notre échelle. Quand on prend le temps de poser la question aux agents de ce qu’ils pensent de leur quotidien et de leur travail, les solutions émergent : là, on pourrait s’organiser pour avoir d’autres horaires d’ouverture ; ici, on pourrait s’adresser différemment à nos partenaires… En fait, il faut que nous apprenions à agir sur notre propre terrain d’influence, en commençant par changer nos propres pratiques professionnelles. Ce n’est pas forcément intuitif pour l’agent public, formaté à penser en termes de planification, de maillage et de standards. Notre regard curieux voudrait surtout des loupes et des marges de manœuvre pour penser et faire les politiques publiques dont nous avons la responsabilité.

Le texte de loi doit être appliqué en janvier 2020. Quel impact cela aura-t-il pour vous ?
Cela varie forcément selon les jeunes agents publics. Il y a deux mesures dont on n’a pas beaucoup entendu parler… Nous prônons une plus grande marge de manœuvre pour les encadrants de proximité. Comme dans la fonction publique territoriale, il deviendra possible, dans l’État et l’hospitalière, d’exclure un agent trois jours sans avis des commissions administratives paritaires. Mais la possibilité de sanction ne peut pas être décorrélée d’une véritable capacité à réorganiser un service, à encourager une mobilité ou à mener différemment une action.

Nous avons toujours revendiqué une plus grande mobilité, associée à une prévention accrue des risques de conflits d’intérêts. Avec la nouvelle loi, les retours du privé seront contrôlés, et c’est vraiment une avancée. On s’interroge en revanche sur la capacité des services à réaliser cet autocontrôle, car la Commission de déontologie ne sera sollicitée que dans le cas où l’administration se juge elle-même incompétente. Il semble nécessaire d’accompagner les agents et de regarder de près les potentiels conflits d’intérêts.

Quid de la haute fonction publique ?

Il faut bien sûr réformer “le haut” car c’est lui qui donne l’exemple. Mais cette réforme doit dire ce que l’on veut pour toute la fonction publique, et pas que pour les hauts fonctionnaires. La haute fonction publique n’est finalement que l’exemple le plus visible d’une fonction publique qui se construit sur l’excellence sociale et académique traditionnelle. Elle se ferme ainsi à de nombreux talents et inscrit son fonctionnement dans un mode très hiérarchique où la légitimité revient toujours au plus diplômé et au plus “gradé”. C’est bien d’une impulsion générale qui pourra être déclinée dont on a besoin, pas d’un changement qui concerne une petite minorité de fonctionnaires et donc de services.

“Il faut sortir des dogmes d’excellence, de concurrence et de performance.”

Vous aviez travaillé sur des propositions d’évolution dans la fonction publique. Ont-elles trouvé un écho dans ce texte de loi ?

Il y a d’abord la nécessité d’inviter la pluralité dans nos standards administratifs, et par là même de sortir des dogmes d’excellence, de concurrence et de performance. Derrière cette idée, il y a la volonté d’une meilleure pluridisciplinarité des équipes ou d’un recours à des pratiques professionnelles alternatives, telles que l’ouverture des données publiques, l’observation participante ou encore le design. Mais en fait, l’idée maîtresse est de sortir du mythe de la méritocratie républicaine, qui est un système excluant et qui surtout ne permet pas de remettre en cause la primauté donnée à une seule forme de savoir, de pratiques et de représentations. Effectivement, le projet de loi comporte des mesures en faveur de l’égalité femmes-hommes, des personnes en situation de handicap, sans oublier la démocratisation du recours au contrat, mais les rouages de la machine peuvent encore être améliorés !

Que pensez-vous des dispositifs prévus permettant aux agents de davantage “prendre la main” sur leur carrière ?

Nous attachons beaucoup d’importance à la reconnaissance de la capacité d’action concrète et quotidienne de chaque agent. Le projet de loi prévoit plusieurs dispositifs qui vont dans ce sens (mobilité, management, formation…). La question est : comment s’en saisir ? Le pas de côté ne se fait pas avec un amendement, un plan d’action ou une statistique. Pour gagner en capacité et en créativité, il faut faire soi-même. À titre d’exemple, le projet de loi favorise la mobilité. Mais comment faire soi-même une mobilité ou encourager son collègue, ou bien accueillir un nouveau profil, sans intégrer individuellement une volonté de faire différemment ? Et pour cela, il ne faut pas seulement une loi ou plein de consultants, il faut s’approprier son environnement professionnel et ses contraintes, comme la hiérarchie, les obligations réglementaires, les injonctions contradictoires. Ensuite, on peut le questionner : à quelles logiques de concurrence est-ce que je participe ? À quelles autres techniques de travail dois-je me sensibiliser ? Quels partenaires puis-je rencontrer en adoptant un nouveau positionnement ? On peut aussi parler de la façon dont on crée un environnement stable et positif pour chaque agent. Il est notamment prévu un renforcement des dispositifs de restructuration, tels que les détachements, les mises à disposition ou encore les départs volontaires. Ces éléments sont à lire dans un contexte de réforme territoriale. Or, pour se sentir impliqué et responsable de son travail, il est nécessaire d’en comprendre le sens à son niveau d’action quotidien. La résilience et l’adaptabilité que l’on attend des agents nécessitent une intelligibilité et une désirabilité du changement.

Si vous deviez écrire un projet de loi, des propositions d’amendement, quels seraient-ils ?

On peut se poser la question en sens inverse : si on devait ne pas écrire de projet de loi, d’amendements, que se passerait-il concrètement de mieux ou de moins bien pour le citoyen, un territoire, un enjeu de dimension nationale ? Un projet de loi qui (re)donnerait à l’administration son rôle républicain et social ne serait pas mal. Et du coup, par exemple, un amendement qui compléterait le devoir de désobéissance (qui se limite à la compromission de l’intérêt public) ou le dispositif de lanceurs d’alerte (qui n’est qu’une possibilité en cas de délit ou de crime, de menace pour l’intérêt général ou de violation grave et manifeste d’un engagement international, d’une loi ou d’un décret). Pourquoi ne pas imaginer un devoir de lancement d’alerte élargi pour invisibilisation d’une partie des usagers concernés par une politique publique ? Pour manque de collaboration avec un partenaire ? Pour un comportement raciste ou sexiste ?

On peut s’interroger sur le texte comme outil majeur de décision de l’administration. Quand une loi est votée, cela fait beaucoup de bruit. Ce n’est pas plus mal pour une démocratie… Quand une circulaire est écrite, elle est diffusée dans tous les services. Et ensuite ? On ne discute pas assez de l’appropriation de ces textes par les agents sur le terrain. On pourrait penser un dispositif qui créerait des espaces de “réflexivité” pour chacun d’entre nous, espaces qui permettraient notamment de reconnecter les missions de décision, de stratégie et de mise en œuvre.

Se pose la question de vos marges de manœuvre…

Finalement, en effet, la question est, dans le cadre de la loi et du règlement : quelles sont nos marges de manœuvre comme jeunes entrant dans la fonction publique ? Instinctivement, on pourrait penser que les cadres dirigeants ont une capacité plus importante à impulser le changement. Ce n’est pas si évident. Un inspecteur général des finances publiques aura sûrement beaucoup moins la possibilité de questionner ses pratiques qu’un contractuel dans une mairie qui bénéficie d’une confiance importante (qui peut certes devenir fragile) de son élu, ou encore qu’un garde forestier ! On doit tous développer notre capacité à sortir du cadre, non pas législatif, mais celui que l’on s’impose par routine, par tradition ou par duplication. Il faut déjà se demander si ce que l’on fait comme ceci depuis des années, c’est vraiment la bonne manière de faire. C’est déjà un pas énorme. Il est aussi stratégique de développer notre professionnalisme et la connaissance de notre environnement pour déjà gagner en légitimité et aussi mieux appréhender les pas de côté que nous allons pouvoir faire. Et puis – ce qui n’est pas gagné : ne pas s’épuiser, ne pas se résigner, ne pas trop “entrer dans le moule”. Aller prendre l’air si besoin, puis revenir. S’attaquer aux fonctionnements structurels de l’administration, et ne pas se limiter à de simples techniques d’innovation ou au chant des sirènes du numérique. Faire de notre immersion totale un atout.

Faut-il des espaces tels que votre association pour mieux articuler ces enjeux “macro” et réglementaires avec vos missions au quotidien ?

La spécificité de FP21, c’est qu’elle rassemble une très grande diversité de membres, exerçant dans des départements différents, tous versants, catégories, corps et métiers confondus. Nous sommes convaincus que cela donne des clés pour plus d’ouverture et d’agilité. S’ajoute l’importance que nous donnons à nos actions communes avec beaucoup de partenaires pour diffuser des messages et des pratiques essentielles pour l’action publique : meilleur accès à la fonction publique, forme des politiques publiques, attractivité de nos métiers ! La mission de veille et d’information que remplit FP21 permet de renforcer notre appropriation des réformes en cours, et plus globalement notre compréhension des enjeux qui se réfèrent à la fonction publique. L’association est apartisane et tout agent public est soumis au devoir de neutralité. Il est donc d’autant plus essentiel de se donner les moyens de comprendre le sens social, économique et écologique qu’il y a derrière nos dispositifs. Et puis nous faisons aussi du plaidoyer en portant la voix des jeunes agents publics – celle de leur quotidien – auprès des décideurs publics. Nous avons notamment animé un groupe de travail sur la fonction publique que nous voulons avec une trentaine de membres. Nous en avons présenté les conclusions au cabinet d’Olivier Dussopt [secrétaire d’État auprès du ministre de l’Action et des Comptes publics, ndlr] et à Thomas Cazenave [délégué interministériel à la transformation publique, ndlr]. Nous jouons aussi un rôle complémentaire en discutant dans les instances de réflexion du secteur public. Nous sommes par exemple intervenus sur le management aux ETS de Strasbourg, sur le numérique au Grand Barouf de Lille ou encore sur les mobilités interfonctions publiques lors d’un forum de la PFRH [plate-forme régionale d’appui à la GRH, ndlr] à Dijon.

Quelles sont les actions qui permettent aux jeunes agents publics de gagner en capacité d’action ?

Il y a d’abord les actions pour favoriser l’accès à la fonction publique et une plus grande valorisation de nos métiers. Un jeune agent public qui souhaite s’engager trouve dans l’association des modalités d’action pour mettre en œuvre cette volonté. Nous intervenons dans des salons d’orientation professionnelle pour présenter nos missions et les différentes façons d’intégrer la fonction publique. Par exemple, dans le Gard, nous participons au salon “Lycée Avenir”, qui regroupe près de 200 professionnels et 5 000 étudiants. Nous sommes aussi en train d’organiser des actions de sensibilisation et d’information auprès des jeunes de la mission locale sur les carrières et les modes de recrutement publics. Avec l’Ipag de Poitiers, nous présentons sur plusieurs modules les perspectives qu’offrent notamment les métiers de la territoriale.

Nous nous sensibilisons aussi à la transformation publique. Elle nous concerne tous. Nous créons notamment des partenariats avec les laboratoires d’innovation publique de la DITP. Nous avons organisé une journée avec le lab Archipel de la préfecture de région à Lyon. Le matin, des membres locaux de l’association ont été invités au lab pour découvrir (ou redécouvrir) les principes et les méthodes issus de l’innovation publique. L’après-midi, nous avons été rejoints par une dizaine d’élèves attaché(e)s de l’IRA de Lyon pour une learning expedition. Au programme : découverte du Lab Pôle emploi, du CentSept (lieu d’innovations sociales) et du Tuba (lieu d’innovations urbaines). La transformation publique est apparue tout de suite plus concrète dans des lieux et des projets portés par des agents publics, des entreprises ou encore des associations. Nous avons prévu de nouvelles actions avec le Ti Lab à Rennes, la Fabrique RH à Paris et le Siilab à Lille.

Nous organisons par ailleurs des activités pour développer des pratiques professionnelles alternatives et innovantes chez les jeunes agents publics. À Nîmes, une quinzaine de personnes s’est réunie pour un afterwork de codéveloppement afin de se questionner sur nos habitudes de travail et aussi développer un réseau local pour faciliter l’entraide et les échanges autour d’enjeux partagés.

Propos recueillis par Sylvain Henry

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